Démarche stratégique devant le tribunal

L’eau a coulé sur le champ de pommes de terre d’un agriculteur après des pluies diluviennes. Il demandait des dommages-intérêts, qui ne lui ont pas été accordés dans un premier temps. Avec une stratégie bien réfléchie, il a finalement atteint son objectif. Nous vous expliquons la démarche exacte.

Auteur : Me Stephan Stulz, avocat, photos : Landpixel

On entend souvent dire qu’on n’a aucune chance devant les tribunaux ou les autorités sans représentation juridique. Avec une stratégie bien réfléchie – à établir au début d’une procédure dans la mesure du possible – on vous donnera raison. Pour ce faire, il faut impérativement tenir compte des méthodes de travail fondamentales des autorités. Nous illustrons la démarche à l’aide d’un cas exemplaire du canton de Berne.

Situation initiale et déroulement de la procédure judiciaire

En 2018, L’agriculteur A plantait des pommes de terre sur les deux parcelles qu’il avait louées à Münchenbuchsee. Ceux-ci jouxtent une voie communale. Après de fortes pluies, l’eau coulait de ce chemin vers le champ de pommes de terre. L’Inforama de Rütti (Office de l’agriculture et de la nature du canton de Berne) a estimé le dommage à 2'096 CHF.

Le 24 août 2018, l’agriculteur A demandait à la commune de Münchenbuchsee (commune de résidence sur la base de l’article 77 de la loi sur les routes du 4 juin 2008 (SG)), de régler le do ; dommage ; BSG 732.11), y compris les coûts estimés de l’Inforama de 310 CHF. La communauté a rejeté cette demande début novembre 2018.

L’agriculteur A ne se laissait pas décourager par cette décision négative. Le 4 décembre 2018, l’agriculteur A, - sans représentation juridique - est parvenue à la Commission d’évaluation de l’expropriation du canton de Berne et demandait que la commune de Münchenbuchsee soit tenue de lui verser une indemnité de 2'096 CHF et les coûts de l’estimation des dommages aux cultures de 310 CHF.

La commission d’expropriation a donné entièrement raison à l’agriculteur A et obligeait la commune de Münchenbuchsee, par décision du 2 juillet 2019 à lui payer le montant total de CHF 2'406. La commune n’était pas d’accord. Elle faisait appel avec l’aide d’un avocat et se présentait devant le tribunal administratif du canton de Berne. Nous décrivons ci-dessous le déroulement de la procédure.

Le fonctionnement fondamental des autorités

La compétence est vérifiée et, en particulier, l’étendue de la soi-disant cognition de l’instance (supérieure). La cognition détermine dans quelle mesure et dans quelle étendue une instance supérieure peut contrôler et corriger l’instance inférieure. En l’espèce, le tribunal administratif avait une cognition complète. Elle a donc pu vérifier l’arrêt attaqué dans son intégralité, en fait et en droit, et déclarer sa propre vision contraignante.

Dans un premier temps, le tribunal détermine et interprète les bases légales déterminantes. Par interprétation, on entend que les lois applicables sont interprétées. Il est fréquent que l’on se penche d’abord sur les questions juridiques, c’est-à-dire sur ce qui s’est passé exactement du point de vue d’une autorité.

En l’espèce, le Tribunal administratif a examiné l’article 77 de la loi sur les routes bernoises (SG) comme base de responsabilité invoquée, en tenant compte de l’ensemble de la législation jusqu’en 1934. Après avoir étudié huit pages, le tribunal administratif a résumé comme suit : L’article 77 de la loi bernoise sur les routes présuppose lui seul qu’un dommage majeur a été causé par l’eau s’écoulant d’une voie publique. Les riverains devraient de principe tolérer que de l’eau s’écoule naturellement des routes sur leurs terrains. Mais les riverains ne doivent pas être obligés de supporter le risque causé par l’eau qui s’écoule des routes en cas de problème. Il s’agissait d’un type particulier d’obligation de dommages-intérêts qui ne présuppose aucune illégalité de la part de la commune.

Le résultat dépend également de l’interprétation des tribunaux. Dans ce cas, le tribunal administratif aurait tout aussi bien pu faire valoir que les règles pertinentes du droit de la responsabilité civile privée s’appliquent également dans ce domaine. En d’autres termes, la commune ne pourrait être poursuivie que si l’agriculteur A avait pu prouver que la commune avait agi de manière illégale. Cette preuve aurait été difficile à fournir pour l’agriculteur.

Réactions du tribunal

La commune avançait de nombreux arguments, qui seront présentés ci-dessous pour donner une impression générale :

  • La communauté exigeait que l’agriculteur indique qui le soutenait dans ses démarches. À cette fin, elle a allégué d’éventuelles violations des dispositions pénales de la loi cantonale sur les avocats.
    Le tribunal : Une partie concernée est entièrement libre de la manière dont elle peut se faire assister dans une procédure. Cela vaut tout en particulier dans les cas où la commune s’est fait représenter par un avocat comme dans le cas présent.

  • La commune de Münchenbuchsee a notamment fait valoir que la route en question ne pouvait être empruntée que par des transporteurs et que la commune avait repris cette route d’un syndicat d’amélioration foncière.
    Le tribunal : Conformément à l’article 77 SG, seule la question de savoir s’il s’agit d’une rue publique est déterminante ; les éventuelles prescriptions routières ne sont absolument pas pertinentes.

  • Il serait inapproprié et entraînerait des coûts élevés si des mesures correctives telles des égouts d’amenée devaient être installées partout.
    Le tribunal : Les communes répondent de l’entretien des routes et d’un drainage routier fonctionnel.
  • Le dommage subi était mineur et ne concernait que sur 411 m2. C’était alors négligeable en ce qui concerne la taille du champ entier et le revenu de l’exploitation agricole. C’est pourquoi toutes les données sur l’exploitation de l’agriculteur devaient être collectées par le Tribunal.
    Le tribunal : A condition qu’il s’agisse d’un dommage majeur, seuls des cas mineurs doivent être exclus conformément à l’intention législative. Les arguments de la municipalité sont donc sans fondement. Le tribunal a jugé un dommage de quelques centaines de francs comme bagatelle. En conséquence, la collecte des données d’exploitation devenait obsolète.
  • Le préjudice allégué n’avait pas été prouvé et l’Inforama mandaté n’était pas un organisme neutre.
    Le tribunal : L’Inforama est un service national spécialisé dans les questions agricoles. L’estimation des dommages aux cultures doit donc être accepté comme rapport officiel et rapport technique. On ne peut s’écarter du résultat que pour des raisons valables. Le tribunal a contrôlé les différentes positions et arguments. Le tribunal a estimé que le rapport ou le dommage respectivement était concluant. Il convient d’ajouter que ce n’est qu’à la fin de la procédure que la communauté a contesté le calcul du préjudice et qu’elle n’avait pas contesté à l’origine.
  • La commune a même apporté un article de la revue spécialisée « Schweizer Bauer », selon lequel la production de pommes de terre entraînait des coûts structurels très élevés et des pertes dans le cas d’un calcul complet des coûts. L’agriculteur allait alors réaliser des gains presque doubles sur la surface endommagée par rapport aux gains qui auraient pu être réalisés sans dommage dû à l’érosion. La commune critique ensuite que la perte d’humus soit beaucoup plus faible.
    Le tribunal : Le tribunal a examiné ces griefs de la commune sur la base des documents, photographies et arguments antérieurs existants de la commune et les a tous jugés non fondés.
  • La commune avançait de nombreux autres arguments pour justifier qu’elle ne soit pas responsable. C’est ainsi que la commune faisait valoir que l’eau venait du versant adjacent au lieu de venir de la route. L’agriculteur aurait en outre créé, fauché et entretenu un andain avec des percées dans le secteur des banquets. Si l’agriculteur avait cultivé une bande d’herbe plus large selon les fiches techniques agricoles, l’évènement n’aurait pas non plus causé des dommages. De toute façon, il y aurait eu une forte précipitation au sens de la force majeure, pour laquelle la commune ne pouvait en aucun cas être tenu pas responsable.
    Le tribunal : Le tribunal a examiné tous ces arguments. Le tribunal a estimé, entre autres, que la commune, d’une part, ne réussissait pas à prouver ses allégations, et que d’autre part, il était généralement connu que des surélévations se forment au bord de la route avec le temps et qu’il n’était pas logique pour l’agriculteur de faire des percées individuelles. La commune était seule responsable d’un drainage fonctionnel. En conséquence, la commune a entièrement perdu la procédure.

La commune a dû payer elle-même des frais d’avocat élevés ainsi que les frais de procédure d’un montant de 4000 CHF.

Conseils pratiques :

  • Dans tous les cas impliquant des autorités publiques, il est essentiel de savoir exactement quelles dispositions légales s’appliquent.
  • Une fois que les dispositions légales applicables sont connues, il convient de déterminer en détail les conditions qui doivent être remplies ou non remplies pour que la norme législative soit appliquée comme base d’une exigence ou d’un acte de puissance publique. Il est également important de savoir si d’autres autorités cantonales ou fédérales ont déjà statué sur des litiges similaires.
  • Une fois ce travail préparatoire ayant été terminé, l’incident ou le litige en question doit être présenté de manière que les conditions légales requises soient remplies. Il est généralement nécessaire de disposer de preuves solides sous la forme d’expertises, de preuves photographiques ou de déclarations et de lettres ainsi que de constatations de tiers.
  • Dans des procédures avec les autorités, il est important, dès le début, de saisir et d’évaluer pleinement la procédure dans sa pertinence. Selon cette évaluation, il faut alors procéder.
  • Dans la mesure du possible, les (autres) points de vue des tiers et leurs arguments doivent être pris en compte.
  • Dans tous les cas, le point de vue et le raisonnement de l’Autorité doivent être suffisamment pris en compte et, dans la mesure du possible, des contre-arguments et des contre-preuves doivent être organisés et établis.
  • Lorsqu’une affaire est jugée pertinente, il convient d’avoir recours à une expertise pour évaluer au mieux les opportunités et les risques. Il est important de se concentrer sur les points déterminants. Il est important de savoir régulièrement qui doit fournir quelle preuve pour quel point.
  • La preuve est, comme en l’espèce, totalement différente dans les procédures pénales et administratives. Dans la présente procédure, l’agriculteur A., avait à prouver un dommage majeur ainsi que le fait qu’une route publique était en cause. La commune devait fournir la preuve du contraire, y compris la faute concomitante etcetera.
  • En fait, une tâche simple. Cependant, si l’on considère le jugement de 35 pages du tribunal administratif, c’était une tâche très exigeante.
  • Il est important, dès le début, de présenter une vision convaincante, compréhensible et plausible des événements et de l’étayer avec des preuves détaillées nécessaires et objectives. Les photographies s’avèrent généralement être de très bonnes sources fiables pour démontrer vos propres affirmations et points de vue. Des évaluations opportunes par des experts neutres dans le domaine concerné sont également utiles, comme c’est le cas avec l’Inforama.
  • Il s’avère généralement peu prometteur de rédiger une lettre ou un avis à son gré et d’attendre la réaction de l’autorité.
  • En fin de compte : À la fin d’une procédure, vous êtes toujours plus avisé et vous pouvez juger de manière plus fiable de ce que vous auriez pu faire mieux ou autrement. Cependant, le déroulement de la procédure dépend beaucoup des fonctionnaires concernés et de la compréhension que l’on peut avoir du différend.
  • Une procédure réussie nécessite toujours une bonne coopération, de sorte qu’un représentant légal comprenne l’avis de la personne concernée. L’intéressé doit d’autre part se pencher sur les bases fondamentales de l’administration susmentionnée et fournir les documents et arguments nécessaires au représentant légal.
Sur la personne

Stephan Stulz est avocat avec son propre cabinet. Après un apprentissage de mécanicien de machines agricoles, il a obtenu un diplôme en génie mécanique. Puis il a étudié à la HSG de St-Gall (lic. en droit). Il est aujourd’hui spécialisé dans toutes les procédures administratives et pénales, en particulier avec des antécédents techniques (voir www.stulz-recht.ch).

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